TOGO : RÉPRESSION SUR FONDS DE CHANGEMENT DE CONSTITUTION

Les autorités togolaises doivent garantir le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International après que les autorités ont interdit à des organisations de la société civile et à des partis politiques de se réunir pour exprimer notamment leur opposition au récent changement de constitution. 

Mercredi 27 mars, au moins trois conférences de presse ou réunions rassemblant des partis politiques et/ou des organisations de la société civile ont été interdites par les autorités dans la capitale Lomé et à Tsévié, et dispersées par les forces de l’ordre, dans un contexte de changement de constitution controversé intervenu deux jours plus tôt.

« Aujourd’hui les autorités togolaises ne s’embarrassent même plus de sauver les apparences. Toutes les personnes qui refusent de s’aligner sur leur politique sont réduites au silence par la force », a déclaré Samira Daoud, Directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale.

 Aujourd’hui les autorités togolaises ne s’embarrassent même plus de sauver les apparences. Toutes les personnes qui refusent de s’aligner sur leur politique sont réduites au silence par la force.

Samira Daoud, Directrice régionale d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et Centrale

Le 27 mars dans la matinée, une première conférence de presse était prévue à Lomé à Agoè, une ville de l’agglomération de Lomé, à l’initiative de plusieurs partis politiques et organisations de la société civile. À cette occasion il devait être annoncé la création de « Touche pas à ma constitution », une coalition opposée au changement de constitution votée le 25 mars par l’Assemblée nationale.

Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais, présent sur place, a déclaré à Amnesty International : « La conférence de presse devait se tenir dans un local appartenant à l’église catholique, mais dès 8h30 nous avons été informés que la gendarmerie était sur place et avait intimé aux responsables des lieux de ne pas nous donner l’accès. Nous avons donc décidé de changer de lieu et de tenir la conférence dans la salle d’un parti politique. La conférence a débuté à 11h, mais 30 à 45 minutes après, la gendarmerie est entrée et a ordonné d’évacuer les lieux sous prétexte que nous n’avions aucune autorisation. Les participants et les journalistes sont donc sortis et se sont attroupés dans la rue, et les gendarmes ont dispersé la foule avec du gaz lacrymogène. » 

Une vidéo tournée en direct pendant la conférence de presse, consultée par Amnesty, montre plusieurs hommes en uniforme faire irruption dans la salle et intimer aux participants et aux journalistes de sortir. D’autres vidéos filmées dans la rue après la dispersion montrent la présence de véhicules de la gendarmerie et de gendarmes équipés de lanceurs de grenades lacrymogènes. Des journalistes présents sur place ont déclaré à l’organisation avoir été menacés par les forces de l’ordre afin qu’ils ne filment pas les événements.

Une autre conférence de presse réunissant d’autres partis politiques et organisations de la société civile, prévue dans l’après-midi au centre communautaire du quartier Bè, à Lomé, a également été empêchée par les forces de l’ordre. David Ekoué Dosseh, coordinateur du mouvement Togo Debout, a déclaré à Amnesty International : « Nous avions eu vent de l’interdiction de la conférence de presse du matin, donc nous nous étions donné rendez-vous devant le siège du parti Alliance nationale pour le changement (ANC) pour partir en convoi. Nous avons appris que les forces de l’ordre étaient déjà sur place et interdisaient aux participants l’accès à la salle. Arrivés sur place, nous nous sommes donc contentés de répondre aux journalistes présents à l’extérieur de la salle. Finalement, nous nous sommes tous déplacés dans une salle de l’ANC dans le même quartier, où nous avons pu tenir la conférence de presse. »

Le même jour dans un hôtel de Tsévié, une localité située à environ 30km au nord de Lomé, un atelier de formation réunissant des associations de plusieurs régions du pays dans le cadre d’un projet de promotion et de protection de la liberté d’association et de réunion pacifique a été interdit par les autorités. Selon le témoignage écrit d’un participant consulté par Amnesty International, « l’atelier allait démarrer à 9h lorsque le préfet de Zio est arrivé avec une délégation pour demander à connaitre les organisateurs. Il a expliqué qu’aucune autorisation n’avait été donnée, et que la lettre d’information qui avait été envoyée à la préfecture ne suffisait pas, raison pour laquelle les activités ne pouvaient pas se poursuivre. Une quinzaine de gendarmes sont alors entrés dans la salle et ont demandé avec autorité aux participants de la vider. Tout le monde est sorti, puis les forces de l’ordre ont demandé à avoir la liste des participants et les TDRs. »

Le 11 octobre 2023, la cérémonie de lancement de ce projet, financé par l’Union européenne, avait été aussi interdite par les autorités.

Par ailleurs, le 21 février et le 21 mars, le ministère de l’Administration territoriale avait interdit au Grand mouvement citoyen pour la refondation du Togo (GMC) l’organisation d’un « café citoyen » à Lomé au prétexte que le mouvement n’a « aucune base légale ».

« Ces interdictions violent le droit à la liberté de réunion pacifique et le droit à la liberté d’expression garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ratifiés par le Togo. Cette situation est d’autant plus incompréhensible que les autorités ont mis en avant la nécessité de ‘protéger et renforcer les droits et libertés fondamentaux des citoyens’ pour justifier la révision de la constitution », a déclaré Samira Daoud.

L’Assemblée nationale, composée de députés dont le mandat a expiré en décembre 2023 et acquise au président Faure Gnassingbé au pouvoir depuis 2005 après plusieurs réformes de la constitution, a adopté le 25 mars dans la nuit une nouvelle constitution instaurant la Ve République. Le régime semi-présidentiel laisse place à un régime parlementaire, et le président de la République est désormais élu par l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès pour un mandat unique de six ans.