Depuis le coup d’État militaire du 26 juillet 2023, les autorités nigériennes ont arrêté arbitrairement des dizaines de responsables de l’ancien gouvernement et ont réprimé les médias critiques et la dissidence pacifique, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International aujourd’hui. Les autorités devraient immédiatement libérer les personnes détenues pour des raisons motivées par des considérations politiques, et veiller à ce que les garanties d’une procédure régulière soient respectées.
Le 26 juillet, le général Abdourahmane Tiani et d’autres officiers de l’armée nigérienne du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) autoproclamé ont renversé le gouvernement du président Mohamed Bazoum. Depuis le coup d’État, Bazoum, sa femme et son fils sont détenus au palais présidentiel de Niamey, la capitale, et d’autres responsables ont été arrêtés. Les autorités ont menacé, harcelé, intimidé et arrêté arbitrairement des journalistes, des jeunes et des opposants politiques présumés, ainsi que des personnes exprimant des opinions critiques.
Les arrestations arbitraires et les atteintes au droit à la liberté d’expression commises par les autorités placent le Niger sur une voie dangereuse en matière de droits humains.
Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch.
« Les autorités devraient mettre fin aux détentions arbitraires, faire respecter les droits humains et garantir la liberté de la presse. »
En réponse au coup d’État, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a fermé le 30 juillet les frontières entre le Niger et les pays de la CEDEAO, suspendu les transactions commerciales et financières avec ce pays et menacé d’intervenir militairement si le CNSP ne libérait pas Bazoum et ne le remettait pas au pouvoir. Le 10 août, la CEDEAO a imposé des sanctions, notamment des interdictions de voyager et des gels d’avoirs, à l’encontre des putschistes et du pays. Le 22 août, l’Union africaine a suspendu le Niger de la participation à ses organes, institutions et actions, mais a exprimé une position réservée sur une éventuelle intervention militaire ouest-africaine, appelant à une approche pacifique pour « le retour à l’ordre constitutionnel ».
Le 11 octobre, les autorités nigériennes ont donné 72 heures à la Coordinatrice résidente des Nations Unies, Louise Aubin, pour quitter le pays, accusant le Secrétaire général des Nations unies António Guterres de « sabotage » pour avoir exclu le Niger de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre.
Depuis le coup d’État, les autorités ont arrêté arbitrairement plusieurs responsables de l’ancien gouvernement, notamment Sani Mahamadou Issoufou, ancien ministre du Pétrole, Hamadou Adamou Souley, ancien ministre de l’Intérieur, Kalla Moutari, ancien ministre de la Défense, et Ahmad Jidoud, ancien ministre des Finances. En septembre, les autorités les ont transférés dans les prisons de Filingué Say, de Kollo dans la région de Tillaberi, et de Niamey et les ont inculpés d’atteinte à la sûreté de l’état devant un tribunal militaire, malgré ils sont des civils, à l’encontre des garanties d’une procédure régulière. Amnesty International et Human Rights Watch considèrent leurs détentions comme étant arbitraires parce qu’elles sont motivées par des considérations politiques.
Human Rights Watch a fait part de son inquiétude quant au bien-être de Mohamed Bazoum et de sa famille. Les autorités devraient assurer leur sécurité et respecter leurs droits humains, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International. Le 13 août, les autorités ont annoncé leur intention de poursuivre Bazoum pour « haute trahison » et atteinte à la sécurité nationale, mais il n’a pas encore été présenté à un juge. Le 18 septembre, Mohamed Bazoum a déposé une requête auprès de la Cour de justice de la CEDEAO à Abuja (Nigeria) en invoquant des violations des droits humains commises à son encontre et à l’encontre de sa famille pendant sa détention. Il a également demandé sa réintégration immédiate en tant que président du Niger. Le 3 octobre, Salem Mohamed Bazoum, fils du président déchu Bazoum, a contesté la légalité de sa détention devant le tribunal de grande instance de Niamey. Le 6 octobre, le tribunal a ordonné la libération du fils de Bazoum. Toutefois, la décision de la Cour n’a pas encore été appliquée par le CNSP. Dans un communiqué de presse publié le 20 octobre, les avocats de Bazoum ont déclaré qu’il était détenu au secret, ainsi que sa femme et son fils, rejetant les déclarations des dirigeants militaires selon lesquelles il aurait tenté de s’évader.
Des membres d’organisations de médias et des journalistes ont déclaré à Human Rights Watch et à Amnesty International que depuis le coup d’État, ils subissaient des pressions accrues dans l’exercice de leurs activités, ainsi que des intimidations, notamment des menaces de violence et de surveillance de la part d’agents du gouvernement et d’autres personnes.
Suite au coup d’État, des journalistes locaux et internationaux ont été menacés, harcelés verbalement en ligne et agressés physiquement. Le 3 août, le CNSP a suspendu pour une durée indéterminée les chaînes d’information internationales Radio France Internationale et France 24.
« L’autocensure est devenue une tactique de survie pour beaucoup d’entre nous, en particulier ceux qui ont pris leurs distances avec les opinions et actions des nouvelles autorités », a déclaré un journaliste nigérien à Human Rights Watch. « Les journalistes préfèrent ne pas parler de questions sensibles telles que les droits humains. »
Le 30 septembre, des hommes se présentant comme des membres des forces de sécurité ont arrêté Samira Sabou, blogueuse et journaliste, au domicile de sa mère à Niamey. « Des hommes en civil, se présentant comme des membres des forces de sécurité, sont venus arrêter Samira », a expliqué son mari à Amnesty International. « Ils lui ont mis une cagoule sur la tête et l’ont emmenée ». Le lieu où se trouvait Samira Sabou est resté inconnu pendant sept jours. La police judiciaire de Niamey a d’abord nié l’avoir arrêtée, mais le 7 octobre, elle a été transférée à la brigade criminelle de la police de Niamey, où son avocat et son mari lui ont rendu visite. Le 11 octobre, elle a été inculpée de « production et diffusion de données susceptibles de troubler l’ordre public » et libérée dans l’attente de son procès.
Samira Sabou a déjà été arrêtée par le passé pour ses activités journalistiques. En 2022, elle a été condamnée à un mois de prison avec sursis pour ses reportages sur le trafic de drogue au Niger, et en 2020, elle a été détenue arbitrairement pendant 48 jours pour cybercriminalité.
Les autorités ont réduit les voix dissidentes au silence. Dans un décret du 22 août, Tiani, le chef militaire du Niger, a annoncé sans explication la révocation de six universitaires et responsables de l’Etat. La veille, les personnes révoquées avaient, avec d’autres universitaires, signé une pétition dans laquelle ils prenaient leurs distances avec une déclaration du 1er août du Syndicat national des enseignants et chercheurs qui apportait son soutien au CNSP. Le 3 octobre, Samira Ibrahim, une utilisatrice des réseaux sociaux connue sous le nom de « Precious Mimi », a été condamnée à six mois de prison avec sursis et à une amende de 300 000 francs CFA (480 dollars américains) pour avoir « produit des données susceptibles de troubler l’ordre public ». Elle a été inculpée pour une publication sur Facebook dans laquelle elle faisait référence au refus de l’Algérie de reconnaître le nouveau gouvernement nigérien.
Après le coup d’État, les partisans du CNSP, parfois organisés en comités d’autodéfense, ont commis des actes de violence contre des membres du parti de Bazoum, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), et d’autres. Ces violences pourraient avoir été alimentées par les tensions politiques liées à une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO.
Le 27 juillet, des partisans du gouvernement ont saccagé et incendié le siège du PNDS à Niamey. Ils ont également brûlé des dizaines de véhicules et agressé physiquement plusieurs membres du parti qui se réunissaient à son siège. « Un jeune homme m’a frappée avec un bâton, pendant qu’un autre m’agrippait les seins », a déclaré une femme. Des témoins ont déclaré que les forces de sécurité n’avaient pas pris les mesures adéquates pour empêcher les violences.
En août, des jeunes membres de groupes d’autodéfense soutenant le coup d’État ont agressé sexuellement plusieurs femmes lors de patrouilles illégales aux principaux ronds-points de Niamey, selon la police et la Ligue nigérienne des droits de la femme. Au moins quatre des victimes ont porté plainte auprès de la police nigérienne contre leurs agresseurs, mais jusqu’à présent personne n’a été inculpé pour ces délits.
Le CNSP a suspendu la constitution du Niger, mais a promis de respecter l’état de droit, la « démocratie pluraliste » et les droits et libertés consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Niger est partie, garantit le droit à la liberté d’expression et interdit les arrestations ou détentions arbitraires.
« Le Niger se trouve à un tournant décisif », a déclaré Ousmane Diallo, chercheur sur le Sahel au bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
La liberté d’expression, la dissidence et la liberté de la presse sont essentielles à la jouissance d’autres droits et à l’obligation pour le gouvernement de rendre des comptes. Les autorités militaires de transition doivent agir avec détermination pour mettre fin aux menaces, au harcèlement, à l’intimidation, aux arrestations et aux violences croissantes à l’encontre des journalistes, des organisations de médias et des opposants nigériens, et prendre des mesures efficaces pour respecter, protéger, promouvoir et mettre en œuvre les droits de tous dans le pays.
Ousmane Diallo, chercheur sur le Sahel au bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale