Home Sweet Home ? «Si je reste, je vais me faire tuer»

Lorsque Saúl*, un chauffeur de bus de 35 ans, et ses deux jeunes enfants se sont fait tirer dessus à bout portant en plein jour dans une rue calme de Tegucigalpa, la capitale du Honduras, il a su que la seule manière de survivre était de quitter le pays.

Le Honduras est l’un des pays les plus violents du monde. Chaque jour, plus de personnes y sont tuées que dans la plupart des autres pays. Saúl a eu peur que lui et sa famille soient à nouveau pris pour cible.

Quelques mois après l’attaque, la police n’avait rien fait pour les protéger. Saúl a donc réuni tout l’argent qu’il pouvait, a préparé un petit sac et est parti au Mexique.

Le plan semblait infaillible.

Les chauffeurs de bus comme Saúl sont des cibles reconnues des gangs impitoyables qui contrôlent une grande partie du Honduras. Leurs membres menacent les chauffeurs et les forcent à payer de lourdes « taxes » pour ne pas être tués.

Après avoir survécu à plusieurs attaques dans lesquelles ses fils ont failli être tués, Saúl était un candidat parfait pour l’asile au Mexique, pays voisin du Honduras. Une fois l’asile obtenu, il allait faire venir sa femme et ses enfants.

C’est en tout cas ce qu’il pensait.

Les gouvernements du Salvador, du Guatemala et du Honduras forcent des milliers de personnes à fuir vers le nord pour se mettre en sécurité.

Taux d’homicides

« Il va m’arriver quelque chose »

Mais il y avait un problème. Comme beaucoup de personnes dans sa situation, Saúl n’a pas obtenu l’asile au Mexique. Au lieu de cela, il a été illégalement renvoyé de force au Honduras, dans le quartier même où les hommes qui lui avaient tiré dessus vivaient toujours et contrôlaient la vie de tout le monde.

Une fois rentré chez lui, Saúl et sa famille se sont retrouvés sans protection aucune. Il a déclaré que la police lui avait dit de chercher lui-même les hommes qui l’avaient attaqué.

Je pense qu'il va m'arriver quelque chose

a déclaré Saúl quelques jours avant qu'il ne soit tué à Tegucigalpa, au Honduras.

« Je pense qu’il va m’arriver quelque chose », nous a-t-il dit chez lui à Tegucigalpa, trois semaines après avoir été forcé à revenir. Il sentait qu’il fallait qu’il quitte la ville immédiatement, mais il n’en avait pas les moyens. Il avait dépensé tout son argent lorsqu’il avait essayé de demander l’asile au Mexique la première fois.

Personne ne semblait penser que Saúl était réellement en danger. Tous avaient tort.

Car le 10 juillet 2016, Saúl a été abattu.

Aujourd’hui, sa veuve est terrifiée à l’idée de ce qui pourrait lui arriver, à elle et à ses enfants.

Expulsions du Mexique

Une violence similaire à celle de la guerre

L’histoire de Saúl illustre la vie de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants au Honduras, au Salvador et au Guatemala. Ces pays sont trois des pays les plus dangereux du monde, avec un taux d’homicides nettement plus élevé que la moyenne mondiale.

Des gangs contrôlent des régions entières dans ces pays, forçant de jeunes garçons à intégrer ces gangs, des filles à devenir des esclaves sexuelles et des commerçants et des chauffeurs de bus à payer de lourdes taxes, et tuant quiconque ose leur dire non. En ignorant cette crise, les gouvernements forcent des milliers de personnes à fuir vers le nord dans l’espoir de trouver la sécurité.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Selon le HCR, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le nombre de personnes de ces trois pays demandant l’asile dans le monde a été multiplié par sept depuis 2010.

Il existe des preuves accablantes que ces personnes sont confrontées à une violence extrême et risquent d’être tuées si elles n’obtiennent pas le statut de réfugié. Pourtant, les expulsions de pays tels que le Mexique et les États-Unis ont augmenté depuis 2012.

Le nombre de Guatémaltèques, de Honduriens et de Salvadoriens expulsés du Mexique a affiché une hausse de près de 180 pour cent entre 2010 et 2015.

Des milliers de personnes comme Saúl sont illégalement renvoyées de force vers l’enfer qu’elles ont été forcées de fuir. Et parmi les personnes qui ont suffisamment de pouvoir pour changer les choses, personne ne semble faire quoi que ce soit.

Il faut protéger les réfugiés centraméricains de la violence

Le Guatemala, le Honduras et le Salvador doivent veiller à ce que les personnes renvoyées soient protégées à leur retour dans leur pays d’origine.

Aux gouvernements du Guatemala, du Honduras et du Salvador

Nous vous demandons de :

  • protéger vos ressortissants de la violence ;
  • assumer une responsabilité au niveau national pour la protection des personnes renvoyées, en consacrant les ressources nécessaires face à la hausse du nombre de ces personnes ;
  • identifier les personnes renvoyées en danger afin de prévoir une protection particulière en réponse à leurs besoins propres ;
  • veiller à ce que les programmes de protection destinés aux migrants renvoyés dans leur pays tiennent compte des droits et des aspects particuliers de la protection de certains groupes tels que les femmes, les populations indigènes, les personnes LGBTI et les mineurs non accompagnés ;
  • examiner les situations de manière individuelle en vue de procédures d’asile de réadmission.

La crise des réfugiés en Amérique centrale

Les jeunes à la merci des gangs

Amnesty International a constaté que les pays d’Amérique centrale manquent doublement à leur devoir envers leur propre population : non seulement ils ne font pas assez pour remédier aux niveaux de violence qui poussent des milliers de personnes à fuir, mais en plus, ils ne font pas non plus le nécessaire pour protéger celles qui sont renvoyées dans leur pays.

L’histoire de Saúl est un terrible exemple d’une tendance de plus en plus courante qui affecte particulièrement les jeunes d’Amérique centrale. En effet, la moitié des victimes d’homicides sont des jeunes hommes et des garçons.

Les adolescents et adolescentes dans les trois pays sont à la merci des violents gangs. Ces gangs décident où les gens peuvent marcher, ce qu’ils peuvent dire, ce qu’ils portent. Pour beaucoup de ces jeunes, il est même devenu tellement dangereux d’aller à l’école qu’ils n’y vont plus.

Le ministère salvadorien de l’Éducation aurait déclaré que 39 000 étudiants n’étaient plus scolarisés en 2015 en raison d’actes de harcèlement ou de menaces de la part de gangs – soit trois fois plus qu’en 2014 (13 000). D’après le syndicat des enseignants du pays, ce chiffre pourrait en réalité être supérieur à 100 000.

Andrés* est l’un de ceux qui essaient désespérément de quitter son pays, le Salvador.

Le jeune homme de 16 ans dit n’avoir jamais fait partie d’un gang. Cela n’a eu aucune importance pour les forces de sécurité qui l’ont arrêté, frappé à coups de pied, roué de coups et l’ont exposé devant des caméras de télévision en mai 2016. Ils lui ont versé de l’eau dans la gorge pour simuler une noyade afin de le faire avouer qu’il avait fait le guet pour l’un des gangs les plus puissants du Salvador.

Lorsqu’Andrés a finalement été libéré, sa mère a déposé une plainte pour les mauvais traitements dont il a été victime auprès des services du Procureur des droits humains et du bureau du procureur général. Les enquêteurs ont conseillé à Andrés de ne pas rentrer chez lui mais n’ont pu lui offrir aucune forme de protection.Il vit maintenant dans la clandestinité et cherche désespérément à quitter le Salvador.

Messages sur les murs

Des graffitis sur un mur à San Salvador : « Voir, entendre et se taire – Mara Salvatrucha »
Des graffitis dans une rue de Tegucigalpa, au Honduras : « Mon quartier est sûr, les membres de gangs dehors »
Des graffitis dans une rue du Honduras : « On ne veut pas du gang MS13 dans notre quartier »
Des agents de la police militaire du Honduras recouvrent de peinture des graffitis du gang de la Mara 18 sur un mur de Tegucigalpa.
Un graffiti de la Mara 18 sur un mur du quartier de Reparto Lempira, à San Pedro Sula, au Honduras.
Des agents de police recouvrent de peinture un graffiti associé au gang de la Mara Salvatrucha au Salvador.

La prospérité de qui ?

Les gouvernements d’Amérique centrale affirment souvent qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour faire face à la crise de la sécurité dans leur pays.

Pourtant, en 2015, le gouvernement américain a mis en place un fonds de 750 millions de dollars pour permettre au Salvador, au Honduras et au Guatemala de lutter contre la violence dans leur pays et d’empêcher leur population de fuir vers les États-Unis. L’Union européenne et d’autres organisations ont suivi et ont mis à disposition des fonds pour lutter contre les facteurs qui poussent à la migration.

Mais très peu de choses sont mises en œuvre au Salvador, au Guatemala et au Honduras pour aider ceux dont la vie dépend de la protection des autorités. Et une question majeure reste sans réponse : où va cet argent ?

Il n’existe pas de solution simple pour faire face à cette crise des réfugiés profondément enracinée et cachée. S’attaquer aux taux d’homicides de ces pays et les rendre sûrs sera une tâche ardue. Mais les gouvernements ne peuvent pas se permettre de ne rien faire. Ils ont la responsabilité de protéger ceux qui sont dans l’impasse et d’empêcher que les personnes comme Saúl ne soient tuées impitoyablement.

* Les noms ont été changés pour protéger les personnes et leur famille.