Gambie. 100 jours à la tête du pays : Adama Barrow doit entreprendre des réformes majeures afin de rompre avec un passé violent

Afin de rompre avec un passé marqué par les violences, les autorités gambiennes doivent abroger les lois répressives, réformer les services de sécurité et garantir l’obligation de rendre des comptes pour les graves violations des droits humains commises par le passé, a déclaré Amnesty International le 28 avril 2017, à l’occasion des 100 jours de la présidence d’Adama Barrow.
Saluant les progrès majeurs constatés depuis l’investiture du président Adama Barrow le 19 janvier, notamment la libération de dizaines de prisonniers politiques et l’annulation du retrait de la Gambie du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), Amnesty International formule une série de recommandations couvrant 10 domaines de réforme.

Ce document intitulé Human rights priorities for the new Gambian government a été élaboré en consultation avec les organisations de la société civile gambienne et remis au président lors d’une rencontre le 31 mars avec des délégués d’Amnesty International dans la capitale Banjul. Lors de cette rencontre, le président Adama Barrow a promis la « tolérance zéro » pour les violations des droits humains sous son gouvernement.

Au cours des 100 premiers jours de la présidence d’Adama Barrow, des mesures capitales ont été prises en faveur des droits fondamentaux en Gambie. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour rompre de manière décisive avec le passé violent du pays

Alioune Tine, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique occidentale et centrale

« Au cours des 100 premiers jours de la présidence d’Adama Barrow, des mesures capitales ont été prises en faveur des droits fondamentaux en Gambie. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour rompre de manière décisive avec le passé violent du pays, a déclaré Alioune Tine, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique occidentale et centrale.

« Des lois liberticides, des forces de sécurité n’ayant pas à rendre de comptes et un système de justice affaibli ont servi la machinerie répressive mise en place durant le régime de Yahya Jammeh et le travail de réforme démarre maintenant. La Gambie doit aussi saisir l’occasion de devenir le 20e pays d’Afrique à abolir la peine de mort. »
Par ailleurs, Amnesty International demande à la communauté internationale et aux organisations régionales, notamment aux pays donateurs et à des organismes comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, de soutenir la Gambie dans ce processus de réforme de longue haleine, à la fois financièrement et techniquement.

Arrestations arbitraires et torture

Amnesty International exhorte le président Adama Barrow à réformer les services de sécurité, notamment en démantelant les groupes paramilitaires impliqués dans des exactions commises par le passé, comme les « Jungulers », et à inscrire la torture en tant qu’infraction dans la législation gambienne. Sous le régime précédent, le recours à la torture était « très répandu et routinier », selon les Nations unies, et les responsables présumés n’étaient jamais tenus de rendre des comptes.

En outre, il faut mener des enquêtes sur les allégations de torture, fermer les centres de détention non officiels et permettre à des observateurs indépendants nationaux et internationaux chargés de veiller au respect des droits humains de se rendre dans tous les sites de détention.

« Sous le régime de Yahya Jammeh, de nombreux citoyens ont été détenus illégalement et torturés. Le gouvernement du président Adama Barrow doit envoyer un signal clair : c’en est fini de l’ère des détentions illégales, de la torture et d’un système carcéral visant à instiller la peur au sein de la population », a déclaré Alioune Tine.
Liberté d’expression et de réunion

Amnesty International demande l’abrogation d’une série de lois draconiennes utilisées pour restreindre le droit à la liberté d’expression en Gambie. Il s’agit notamment de lois pénalisant la critique des représentants de l’État et interdisant la « publication de fausses informations ». Des journalistes, comme Alhagie Ceesay et Alagie Jobe, ont été pris pour cibles au titre de ces lois, tandis que des centaines d’autres se sont exilés sous le régime de Yahya Jammeh.

Il convient d’inscrire dans la législation le droit de manifester pacifiquement, tout en donnant comme consigne aux forces de sécurité d’éviter d’utiliser la force pour disperser les rassemblements pacifiques, et de supprimer des infractions telles que l’organisation d’un défilé sans autorisation en vertu de la Loi relative à l’ordre public. Sous le régime précédent, les rassemblements de l’opposition étaient régulièrement interdits ou dispersés. En avril et mai 2016, des dizaines d’opposants ont été arrêtés à la suite d’une manifestation pacifique ; en avril 2000, 13 étudiants et un journaliste ont été tués lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur une manifestation pacifique d’étudiants.

« Au cours de ces 100 premiers jours, le président Adama Barrow a déjà ordonné la libération de nombreuses personnes incarcérées uniquement pour avoir exprimé leurs opinions. Aujourd’hui, son gouvernement doit veiller à ce que les Gambiens puissent exprimer leurs idées ou le critiquer sans craindre de représailles », a déclaré Alioune Tine.

Aujourd’hui, le gouvernement du président Barrow doit veiller à ce que les Gambiens puissent exprimer leurs idées ou le critiquer sans craindre de représailles

Alioune Tine

Amnesty International salue la création d’une commission Vérité et réconciliation pour faire face au passé de la Gambie marqué par des atteintes aux droits humains généralisées. Elle doit s’accompagner d’une stratégie claire en matière de poursuites en justice en vue de garantir l’obligation de rendre des comptes pour les graves violations comme la torture et les disparitions forcées, notamment celles qu’a recensées Amnesty International sous le régime de Yahya Jammeh.
En outre, il faut prendre des mesures en vue de consolider le système judiciaire, afin de garantir le respect des normes internationales d’équité des procès, rendre opérationnelle dès que possible la Commission nationale des droits humains, qui soutiendra les initiatives visant à garantir l’obligation de rendre des comptes, et renforcer les protections relatives aux droits fondamentaux.

« Les Gambiens, victimes de la répression pendant 22 ans, réclament justice et il est primordial que les crimes liés aux droits humains commis par le passé ne restent pas impunis. Les enquêtes et les poursuites doivent mettre en œuvre l’équité des procès pour les responsables présumés de ces actes : cela servira d’exemple positif sur la manière de rendre justice dans la nouvelle ère qui s’ouvre », a déclaré Alioune Tine.