Europe. Utilisation abusive des lois contre les passeurs : des personnes risquent la prison pour avoir aidé des réfugiés et des migrants

  • Conférences de presse à Athènes, Berne, Madrid, Paris et Rome
  • Des porte-parole et des personnes directement concernées sont disponibles pour des entretiens

Dans toute l’Europe, des individus sont poursuivis en justice et harcelés pour des actes de solidarité envers des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes, par exemple pour leur avoir donné des vêtements chauds, proposé un abri ou sauvé la vie en mer, a déclaré Amnesty International mardi 3 mars 2020.

Dans un nouveau rapport intitulé Compassion sanctionnée : la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe (Synthèse en français), l’organisation montre comment la police et les magistrats s’en prennent à des défenseur·e·s des droits humains qui aident les personnes réfugiées, demandeuses d’asile et migrantes en utilisant de manière abusive des lois contre les passeurs et des mesures antiterroristes par nature déjà discutables. 

« Les autorités cherchant de plus en plus à limiter et à dissuader les arrivées en Europe, elles considèrent comme une menace le simple fait d’aider les réfugié·e·s et les migrant·e·s à se sentir accueillis ou plus en sécurité », a déclaré Elisa De Pieri, chercheuse sur l’Europe à Amnesty International.

« Face à l’incapacité des États européens à répondre aux besoins fondamentaux des personnes réfugiées et migrantes, ce sont souvent des citoyens et citoyennes ordinaires qui se chargent de leur apporter l’aide et les services nécessaires. En sanctionnant les gens qui redoublent d’efforts pour combler les lacunes des pouvoirs publics, les gouvernements européens exposent les personnes en mouvement à un danger encore plus grand. »

Face à l’incapacité des États européens à répondre aux besoins fondamentaux des personnes réfugiées et migrantes, ce sont souvent des citoyens et citoyennes ordinaires qui se chargent de leur apporter l’aide et les services nécessaires.

Elisa De Pieri, chercheuse sur l’Europe à Amnesty International

Le rapport d’Amnesty International étudie des cas de défenseur·e·s des droits humains poursuivis pour des motifs fallacieux entre 2017 et 2019 en Croatie, en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, à Malte, au Royaume-Uni et en Suisse. Il montre comment le temps de travail des policiers, les ressources judiciaires et les lois destinées à combattre les réseaux de passeurs sont utilisés de manière injuste contre des individus qui aident les personnes réfugiées, migrantes ou demandeuses d’asile. 

Poursuivis en justice pour avoir offert un abri et des vêtements chauds

Dans beaucoup des exemples cités dans le rapport d’Amnesty International, l’« aide à l’entrée irrégulière » sur le territoire est le chef d’inculpation qui a été utilisé contre les personnes et les organisations non gouvernementales (ONG) poursuivies pour diverses actions humanitaires et de solidarité. 

Par exemple, le Français Pierre Mumber, guide de haute montagne, a été jugé pour « aide à l’entrée irrégulière » d’étrangers en France, pour avoir offert du thé et des vêtements chauds à quatre personnes demandeuses d’asile originaires d’Afrique de l’Ouest. Il a finalement été acquitté en appel.

En vertu du régime très strict de contrôle des frontières dans les Alpes françaises, les réfugié·e·s et les migrant·e·s interpelés à moins de 20 kilomètres de la frontière italienne sont considérés comme « entrés illégalement en France », et toute personne qui les aide risque d’être poursuivie et condamnée. L’accès aux procédures d’asile est extrêmement restreint pour les migrant·e·s arrêtés dans cette zone frontalière, et les renvois forcés illégaux vers l’Italie sont fréquents.

En Suisse, plusieurs personnes, dont un pasteur, ont été poursuivies et condamnées pour avoir simplement hébergé des étrangers ou les avoir aidés à demander une protection.

Un débat parlementaire susceptible d’entraîner une modification de la législation relative à l’aide à l’entrée irrégulière va se tenir dans les prochains jours au Parlement suisse. Amnesty International appelle les parlementaires à introduire une exception humanitaire claire afin qu’aucun acte de solidarité ne puisse être érigé en infraction.

Harcèlement des ONG et criminalisation du secours en mer

Le droit pénal a aussi été utilisé de manière abusive pour attaquer et harceler des organisations de la société civile. En Croatie, les ONG Are You Syrious et Centre d’études pour la paix (CMS) ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation et de harcèlement et ont été traînées devant les tribunaux pour « aide à l’immigration irrégulière », parce qu’elles avaient recueilli des informations et témoigné sur des cas de renvois forcés illégaux pratiqués au moyen d’une force excessive par la police aux frontières avec la Bosnie-Herzégovine et la Serbie. 

En Italie, des sauveteurs portant secours aux personnes qui tentent de gagner l’Europe sur des embarcations inadaptées à la navigation en mer ont été la cible de campagnes de dénigrement, ont fait l’objet d’enquêtes pénales, ont été contraints de suivre un code de conduite susceptible de retarder les opérations de secours, et ont été bloqués en mer sans possibilité de débarquer les personnes secourues dans un port sûr.

Depuis août 2017, les autorités italiennes ont saisi à maintes reprises des navires affrétés par des ONG, réduisant le nombre de bateaux disponibles pour des opérations de secours, alors même que le nombre de décès en mer a augmenté en 2018 et 2019. 

Les autorités espagnoles ont utilisé de manière abusive des lois administratives pour restreindre les activités de secours des navires des ONG, les menaçant d’amendes pouvant atteindre 901 000 euros.

Sarah Mardini et Seán Binder, formés au sauvetage en mer, ont passé plusieurs mois en détention provisoire après leur arrestation par les autorités grecques pour avoir aidé des réfugié·e·s arrivant sur l’île grecque de Lesbos. Accusés sans fondement d’aide à l’entrée irrégulière et d’espionnage, entre autres, ils sont toujours en attente de leur procès.

Sarah Mardini a déclaré : « Nous nous sommes portés bénévoles pour aider les personnes dans le besoin. Nous risquons 25 ans de prison pour avoir secouru des gens, mais si vous me demandiez aujourd’hui si j’agirais autrement, sachant que ma vie pourrait en être bouleversée, je vous répondrais que je ferais exactement la même chose. »

Confrontés à des amendes et à des frais de justice, les défenseur·e·s des droits humains et les ONG qui sont poursuivis sont contraints d’utiliser une partie du temps et des ressources limités normalement destinés à leur travail humanitaire pour se défendre contre des accusations infondées et, dans le cas des organisations de secours en mer, pour récupérer leurs navires.

En mars 2019, des personnes réfugiées et migrantes se sont opposées à la décision du capitaine du cargo El Hiblu, qui entendait les ramener illégalement en Libye après les avoir secourues en mer, malgré les risques très concrets de torture et d’autres atteintes aux droits humains. Quand le cargo a finalement accosté à Malte, trois adolescents faisant partie des personnes secourues ont été arrêtés par les autorités maltaises et accusés d’avoir détourné le navire. Actuellement sous le coup de charges disproportionnées, ils risquent la réclusion à perpétuité, notamment en vertu de lois antiterroristes. Pourtant, aucun élément ne permet à ce jour d’affirmer qu’ils ont fait usage de violence ou mis quiconque en danger.

Amnesty International appelle l’Union européenne (UE) et ses États membres à modifier les lois nationales et européennes sur l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers en intégrant dans la définition de ces infractions la condition d’un gain matériel. Cela empêcherait que ces lois ne soient utilisées abusivement pour sanctionner des actes de solidarité et d’humanité. 

Les défenseur·e·s des droits humains doivent être protégés

La Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme définit comme défenseur·e·s des droits humains les personnes qui œuvrent pour la promotion et la protection de ces droits. Elle demande aux États de garantir un environnement sûr et favorable dans lequel il est possible de défendre les droits humains sans avoir à craindre de représailles ni d’intimidations.

Les dirigeant·e·s européens doivent prendre des mesures pour mettre en œuvre cette Déclaration dans l’UE et veiller à ce que nul ne soit poursuivi pour ses seules activités en faveur des droits humains.

« Les autorités doivent cesser de traiter les défenseur·e·s des droits humains comme des délinquants. L’histoire ne sera pas tendre à l’heure de juger les gouvernements qui considèrent que sauver des vies est un crime », a déclaré Elisa De Pieri.

« De nombreuses personnes en Europe ont fait preuve d’une compassion et d’une humanité bien plus grandes que celles de leurs gouvernements à l’égard des étrangers en quête de sécurité. Il est scandaleux que des défenseur·e·s des droits humains soient pris pour cible par des pouvoirs publics dépourvus d’humanité, déterminés à fermer leurs frontières à tout prix, y compris au coût de vies humaines. »