- Pourquoi Amnesty International revoit-elle sa politique sur l’avortement ?
Nous avons revu notre politique afin de suivre l’évolution du droit international relatif aux droits humains et des normes connexes, pour qu’elle soit aussi inclusive que possible, et pour qu’elle couvre la totalité des obstacles qui entravent l’accès à un avortement sécurisé, et des violations des droits humains dues à la criminalisation de l’avortement.
Notre position quant à l’avortement est fondée sur des années de recherche et de consultations menées auprès de femmes et de filles dont la vie a été brisée par des lois restrictives, et aussi auprès de membres du personnel médical, de militant·e·s, et de juristes.
- Quels changements précis ont été apportés à cette politique ?
La politique révisée d’Amnesty International reconnaît l’avortement, dispensé de façon à respecter les droits humains, l’autonomie, la dignité et les besoins de la personne enceinte, comme étant un droit dont dispose toute personne qui peut avoir une grossesse.
Au lieu de considérer l’accès à l’avortement comme étant uniquement une question ayant trait à la santé, ou qui ne concerne que certaines personnes, notre nouvelle politique reconnaît que l’accès à un avortement sécurisé est essentiel pour la réalisation de l’ensemble des droits humains et pour garantir la justice en ce qui concerne le genre et la procréation et dans les domaines sociaux et économiques.
Amnesty International continue de militer pour la dépénalisation totale de l’avortement. Mais alors que notre précédente politique défendait l’accès à l’avortement dans certaines circonstances, nous demandons à présent un accès universel à un avortement sécurisé pour toutes les personnes qui en ont besoin.
- Quels changements Amnesty International demande-t-elle aux gouvernements ?
Nous demandons aux gouvernements de dépénaliser totalement l’avortement, et de garantir l’accès universel à des services d’avortement sécurisé pour toutes les personnes qui en ont besoin. Cela doit comprendre la suppression des dispositions de la législation réprimant pénalement l’avortement et des sanctions visant les personnes qui obtiennent ou fournissent des services d’avortement ou qui apportent leur aide pour la fourniture de services d’avortement.
L’avortement doit être réglementé comme tout autre service de santé. Cela signifie que les soins d’avortement et après avortement doivent être accessibles et abordables, de bonne qualité et fournis sans discrimination. L’avortement ne doit en outre être pratiqué qu’avec le consentement informé de la personne concernée, et il ne doit jamais être pratiqué sous la menace ou avec un recours à la force ou à d’autres formes de contrainte.
Les gouvernements doivent supprimer les dispositions privant les personnes de leur autonomie en ce qui concerne leur propre corps, notamment celles qui prévoient le consentement parental ou de l’époux/épouse. Ils doivent veiller à ce que toute personne ait accès à des informations exactes et étayées par des preuves au sujet de la santé sexuelle et reproductive et des droits qui y sont liés.
Les États doivent supprimer les lois discriminatoires qui empêchent les personnes en situation de handicap, adolescentes ou transgenres, entre autres, d’avoir accès à un avortement sécurisé.
Les gouvernements doivent se pencher sur les facteurs sociaux et économiques qui peuvent influer sur le choix de poursuivre ou non une grossesse. Les personnes ont besoin de vivre dans un environnement respectueux de leur dignité et de leur sécurité pour avoir des enfants et devenir parents, qui est tributaire de facteurs sociaux tels que l’accès à des soins de santé de bonne qualité, à un logement, à l’éducation et à l’emploi. Quand ces droits ne sont pas garantis, les personnes sont alors privées du droit de prendre des décisions au sujet de leur corps. Cela représente un élément clé des revendications des groupes qui s’opposent à l’oppression et à la discrimination intersectionnelles, comme le mouvement pour la justice reproductive aux États-Unis mené par des femmes noires et des femmes de couleur.
- L’avortement est-il un droit humain ?
Aux termes du droit international relatif aux droits humains, toute personne dispose du droit à la vie (dès la naissance), du droit au respect de la vie privée, du droit à la santé, du droit à l’égalité devant la loi et à une protection égale devant la loi, sans discrimination, ainsi que du droit de ne pas subir de violence, de discrimination, d’acte de torture ou d’autres formes de mauvais traitements.
Amnesty International reconnaît que l’accès à un avortement sécurisé fait partie des éléments essentiels permettant de garantir la protection de chacun de ces droits.
Les droits humains sont universels, indissociables et intimement liés. Cela signifie que les droits sexuels et reproductifs, notamment le droit à l’avortement, sont fondamentaux pour la réalisation pleine et entière de tous les autres droits.
- Comment le droit international a-t-il évolué depuis votre dernière position sur la question de l’avortement ?
Les instruments et normes juridiques internationaux relatifs à l’avortement ont considérablement évolué au cours de la dernière décennie.
Les organes de protection des droits humains sont de plus en plus conscients des préjudices causés par les lois qui limitent l’accès à l’avortement à certains « motifs minimaux » – il s’agit de circonstances exceptionnelles telles que la mise en danger de la vie ou de la santé et les cas d’agression sexuelle ou de malformation du fœtus – et demandent de façon croissante la dépénalisation totale de l’avortement et l’accès à un avortement sans danger pour toutes les personnes qui en ont besoin.
Les organes des Nations unies soulignent également que les États ont l’obligation de veiller à ce que l’accès à un avortement sécurisé soit disponible non seulement en théorie, mais aussi dans la pratique.
Cela implique notamment de supprimer ou de modifier les lois qui contraignent la plupart des personnes ayant besoin d’un avortement à recourir à une interruption de grossesse pratiquée dans des conditions dangereuses.
- Pourquoi Amnesty International utilise-t-elle le terme « personne enceinte » ?
Les femmes et les filles cisgenres ne sont pas les seules personnes à avoir besoin d’un avortement sécurisé. Les personnes intersexes, les hommes et les garçons transgenres et les personnes qui ont une autre identité de genre ou aucune identité de genre peuvent également avoir une grossesse. Souvent, ces personnes sont confrontées à des formes de discrimination multiples et croisées quand elles essaient d’avoir accès à des services de santé.
- L’avortement constitue-t-il une violation du droit à la vie ?
Non. Aucun organe régional ou international de protection des droits humains n’a jamais estimé que l’avortement était incompatible avec les droits humains, y compris avec le droit à la vie.
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a bien au contraire insisté à maintes reprises sur le fait que les restrictions qui poussent les femmes et les filles à recourir à un avortement pratiqué dans des conditions dangereuses mettent leur vie en péril. En veillant à ce que toute personne puisse avoir accès à un avortement sécurisé, on protège le droit à la vie.
Amnesty International ne prend pas position sur la question de savoir à quel moment débute la vie d’un être humain ; il s’agit là d’une question de morale et d’éthique et chaque personne décide pour soi-même. Notre politique est conforme au droit international relatif aux droits humains, qui indique clairement que les droits humains s’appliquent après la naissance, pas avant.
- Amnesty International pense-t-elle qu’il devrait être possible d’avoir accès à l’avortement durant les derniers stades de la grossesse ?
Amnesty International demande aux gouvernements de veiller à ce qu’un avortement sécurisé soit accessible le plus tôt possible et aussi tardivement que nécessaire. Amnesty International reconnaît que les États peuvent réglementer l’accès à l’avortement, y compris en imposant des limites liées à l’avancée de la grossesse. Cependant, toute limite de ce type doit faire l’objet d’un contrôle en matière de droits humains et ne doit pas donner lieu à une discrimination ou à des violations des droits humains.
Il est important de noter que les avortements dans les derniers stades de la grossesse sont relativement rares. Par exemple, en Angleterre et au Pays de Galles, seuls 8 % des avortements sont pratiqués après 12 semaines de grossesse, et 0,1 % des avortements ont lieu à 24 semaines ou au-delà.
Il est également important de reconnaître qu’il existera toujours des cas où la personne enceinte a besoin d’un accès à l’avortement dans les derniers stades de la grossesse, en particulier afin de protéger sa santé et sa vie.
Une personne peut vouloir un avortement à un stade avancé de sa grossesse pour diverses raisons. Il peut notamment s’agir d’inégalités systémiques qui privent les personnes concernées d’un accès à des soins de santé à un stade peu avancé de la grossesse.
Les personnes qui veulent recourir à un avortement à un stade avancé de la grossesse vivent alors souvent l’un des moments les plus difficiles de leur vie ; elles ont donc besoin de recevoir des soins de santé et un soutien et non d’être jugées. Les gouvernements doivent veiller à ce que les personnes qui se trouvent dans une situation critique ne soient pas privées d’accès à l’avortement.
- Amnesty International est-elle favorable à l’avortement en fonction du sexe du fœtus ?
Amnesty International s’oppose à la discrimination liée au genre et aux stéréotypes de genre. Dans certaines sociétés, cela peut se manifester dans la culture de la préférence pour un fils, et contribuer à des avortements pratiqués en fonction du sexe du fœtus.
Mais l’accès restreint à l’avortement sécurisé n’est pas la solution pour lutter contre la discrimination structurelle. Amnesty International continue de demander la dépénalisation totale de l’avortement, quelles qu’en soient les raisons, et appelle les États à prendre d’urgence les mesures nécessaires pour mettre fin à la discrimination liée au genre et à la privation des droits économiques et sociaux qui peuvent conduire à des avortements pratiqués en fonction du sexe du fœtus.
- L’avortement à la demande ne risque-t-il pas de conduire à une discrimination contre les personnes en situation de handicap ?
Le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU se base sur le principe selon lequel la décision d’interrompre ou non une grossesse à la suite d’un diagnostic de malformation du fœtus doit appartenir à la personne enceinte.
Le meilleur moyen pour les gouvernements de promouvoir les droits des personnes en situation de handicap et de combattre la discrimination qui les vise, consiste à mettre en place des lois et des politiques protégeant l’autonomie et les droits fondamentaux de ces personnes, et à veiller à ce qu’elles puissent participer à la société à égalité avec ses autres membres.
- Amnesty International encourage-t-elle le recours à l’avortement ?
Non. Nous demandons aux gouvernements de créer un environnement où toute personne qui souhaite un avortement peut y avoir accès en toute sécurité, sans discrimination, sans recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, et sans stigmatisation.
Les raisons pour lesquelles une personne décide de mettre fin à sa grossesse sont nombreuses, complexes et personnelles, et il est absolument nécessaire de se pencher sur cette question avec compassion.
Les restrictions concernant l’accès à l’avortement n’empêchent pas les avortements. Elles ne font que contraindre les personnes à recourir à une interruption de grossesse pratiquée dans des conditions mettant leur santé et leur vie en danger.
- Amnesty International pense-t-elle que les prestataires de soins de santé devraient être contraints à pratiquer des avortements même quand cela va à l’encontre de leurs convictions ?
Le droit international ne reconnaît pas la possibilité de refuser de prodiguer des soins de santé pour des motifs de conscience ou des motifs religieux en tant que droit humain. Les expert·e·s des Nations unies ont indiqué que si les États permettent ce refus de soins, ils doivent veiller à ce que cela ne mette pas en péril l’accès à des services d’avortement sécurisé. Cela signifie que les professionnel·le·s de santé qui refusent de fournir des services d’avortement doivent avoir l’obligation de faciliter d’autres solutions, y compris en fournissant des informations exactes et en dirigeant en temps utile les personnes concernées vers d’autres prestataires de soins de santé.
Les professionnel·le·s de santé doivent toujours prodiguer des soins, quelles que soient leurs convictions et leurs objections personnelles, dans les situations d’urgence – quand l’interruption de grossesse est nécessaire pour sauver la vie de la personne enceinte ou pour éviter de graves préjudices. Cela concerne également les soins vitaux d’après avortement ou les situations où la personne enceinte ne peut pas être dirigée vers un·e autre prestataire de soins.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a également indiqué que les États devraient veiller à ce qu’un nombre suffisant de professionnel-le-s de santé ayant à la fois la volonté et la capacité de fournir de tels services soient disponibles et accessibles pour toute personne ayant besoin de leurs services.