Children visit the Museum of the Great Patriotic War, also known as the Victory Museum, at Poklonnaya Hill in western Moscow on May 8, 2024

Russie. Les autorités ciblent aussi les enfants dans leur croisade contre l’opposition à la guerre

Les autorités russes exercent des représailles de plus en plus dures contre les enfants et leurs familles, notamment ceux qui s’opposent à l’agression de la Russie en Ukraine, dans le cadre de leur intense répression contre toute dissidence, écrit Amnesty International dans un nouveau document le 31 mai 2024.

Ce document, intitulé Russia: “Your children will go to an orphanage”: Children and the Crackdown on Protest, expose la manière dont les autorités russes privent les enfants de leur droit à la liberté d’expression, les prennent pour cibles eux et leurs familles parce qu’ils s’opposent à la guerre et les soumettent à l’endoctrinement par le biais de la propagande de guerre. Les enfants sont en outre instrumentalisés pour faire pression sur les adultes opposés à la guerre, notamment en séparant les familles, en menaçant de retirer les droits parentaux et en ordonnant des placements dans des institutions.

« Malgré tous les discours du Kremlin sur la valeur de la famille, c’est le lien même entre enfants et parents qui est exploité sans vergogne pour écraser la dissidence. Dans cette offensive à caractère politique visant des mineurs, l’État transforme les écoles et les enseignants en outils de persécution et d’ingérence arbitraire. Les écoles endoctrinent les enfants avec de faux récits imposés par le gouvernement et dénoncent directement à la police et aux services de sécurité ceux qui expriment des opinions divergentes, a déclaré Oleg Kozlovski, chercheur sur la Russie à Amnesty International.

Malgré tous les discours du Kremlin sur la valeur de la famille, c’est le lien même entre enfants et parents qui est exploité sans vergogne pour écraser la dissidence

Oleg Kozlovski, chercheur sur la Russie à Amnesty International

« Ceux qui expriment leur opposition à la guerre s’exposent tout particulièrement aux menaces de séparation forcée des familles ou de privation des droits parentaux. Un risque, même lointain, de telles représailles est une perspective suffisamment effrayante pour en dissuader beaucoup de s’exprimer. »

Les enfants et leurs parents ou tuteurs qui s’opposent à la guerre d’agression de la Russie sont repérés par l’intermédiaire des établissements d’enseignement et visés par des mesures répressives, notamment le placement en institution, les arrestations arbitraires, les perquisitions et les poursuites pénales à l’encontre de mineurs.

Ces mesures ont de graves conséquences sur la santé psychologique et physique des enfants, qui souffrent notamment de troubles liés au stress et de traumatismes. Les familles doivent faire face à des répercussions financières en cas de persécution des parents ou des tuteurs, ce qui entraîne des difficultés économiques et perturbe l’éducation des enfants. Certaines familles n’ont d’autre choix que de quitter le pays pour éviter des poursuites pénales ou une séparation forcée.

Le 5 octobre 2022, Varvara (Varia) Galkina, 10 ans, a été interrogée par la police à Moscou au sujet de sa photo de profil WhatsApp, qui représentait un dessin style animé en soutien à l’Ukraine. La police a menacé sa mère, Elena Jolicoeur, et perquisitionné leur domicile. Après avoir été obligée de participer à un programme de « prévention » pour les « parents qui ne remplissent pas correctement leurs devoirs », Elena a fui la Russie avec ses deux filles, craignant d’être à nouveau persécutée.

Le 22 novembre 2023, Egor Balazeïkine,deSaint-Pétersbourg, dans le nord-ouest de la Russie, a été condamné à six ans de prison par un tribunal militaire pour avoir lancé des bouteilles de diesel et de white spirit sur deux bureaux de recrutement 10 mois auparavant, une forme très répandue en Russie de contestation contre la guerre en Ukraine. Il avait 16 ans à l’époque des faits. Ses actes, qui n’ont causé aucun dégât, ont été qualifiés de manière disproportionnée d’« attaques terroristes ». Les affaires de « terrorisme » étant jugées par des tribunaux militaires, on ne dispose guère d’informations sur des cas similaires à celui d’Egor Balazeïkine.

Maria Moskaliova, 12 ans, originaire d’Efremov, en Russie centrale, a été séparée de son père Alexeï Moskaliov le 1er mars 2023 et placée dans un orphelinat à l’issue d’une campagne de persécution à l’égard de sa famille qui a duré près d’une année. La raison ? Un dessin hostile à la guerre qu’elle avait fait à l’école en avril 2022. L’administration scolaire a fait un signalement à la police. Alexeï Moskaliov, qui élève seul sa fille, a tout d’abord été condamné à une amende, puis par la suite à une peine de deux ans d’incarcération dans une colonie pénitentiaire pour « discréditation répétée des forces armées russes », en raison de commentaires postés sur les réseaux sociaux. À l’orphelinat, Maria a souffert de stress et d’isolement. Après un tollé général, elle a finalement été autorisée à aller vivre avec d’autres membres de sa famille.

Le 24 septembre 2022, la police d’Oulan-Oudé, en République de Bouriatie, en Sibérie orientale, a arrêté arbitrairement l’opposante Natalia Filonova lors d’un rassemblement pacifique contre la mobilisation des réservistes pour la guerre en Ukraine. Inculpée de « violence contre un représentant des autorités », ce qu’elle nie, elle a été placée dans un centre de détention provisoire après avoir passé plusieurs mois en résidence surveillée. Son fils dont elle s’occupait en tant que famille d’accueil, Vladimir Alalikine, âgé de 16 ans et porteur d’un handicap, a été envoyé dans un orphelinat. Vladimir n’a pas eu le droit d’assister au procès de sa mère adoptive et, le 31 août 2023, Nataliaa été condamnée à deux ans et 10 mois de prison. Vladimir est resté à l’orphelinat et y a fêté ses 18 ans.

« Dans cette Russie qui marche sur la tête, si vous êtes mineur et que vous n’êtes pas d’accord avec le gouvernement, la police, les tribunaux et même les écoles représentent une menace immédiate », a déclaré Oleg Kozlovski.

Dans cette Russie qui marche sur la tête, si vous êtes mineur et que vous n’êtes pas d’accord avec le gouvernement, la police, les tribunaux et même les écoles représentent une menace immédiate

Oleg Kozlovski, chercheur sur la Russie à Amnesty International

Amnesty International engage les autorités russes à respecter et protéger les droits des enfants à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et à garantir qu’ils puissent exercer ces droits sans crainte de représailles. Elles doivent cesser de restreindre ou de supprimer les droits parentaux et de placer des enfants sous la tutelle de l’État pour les punir d’avoir manifesté ou exercé leurs droits. Les services sociaux et les commissaires aux droits de l’enfant doivent agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant et se conformer aux lois internationales relatives aux droits humains.

Les autorités russes doivent mettre un terme à la pratique consistant à juger des civils, en particulier des enfants, devant des instances militaires, et cesser de détourner le système judiciaire pour persécuter la dissidence. Enfin, elles doivent bannir des écoles toute propagande de guerre et endoctrinement politique.

Amnesty International demande la libération immédiate d’Alexeï Moskaliov, de Natalia Filonova et de toutes les personnes emprisonnées pour avoir exercé pacifiquement leurs droits. Elle réclame également l’abandon des accusations infondées de terrorisme portées contre des personnes telles qu’Egor Balazeïkine.