Asie Et Pacifique 2023
De modestes avancées ont été enregistrées dans plusieurs pays concernant les droits des femmes et des personnes LGBTI. Une nouvelle loi réprimant la torture et les disparitions forcées a été adoptée en Thaïlande et l’application automatique de la peine capitale a été abolie en Malaisie. Globalement, cependant, la situation en matière de droits humains restait sombre dans la région Asie-Pacifique.
L’escalade du conflit armé au Myanmar s’est traduite par une augmentation du nombre des victimes civiles et des personnes déplacées. En Afghanistan, les talibans ont intensifié la répression, en particulier contre les femmes et les filles. De manière générale, la dissidence était manifestement de moins en moins tolérée dans une grande partie de la région, nombre de pays et de territoires ayant décidé de restreindre davantage encore les droits aux libertés d’expression, de réunion et d’association. Des personnes qui avaient critiqué la politique et l’action des autorités – des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s et des journalistes, notamment – ont été arbitrairement arrêtées et placées en détention. Les manifestations contre les injustices ont fréquemment été réprimées avec une force illégale et parfois meurtrière.
Certaines pratiques discriminatoires anciennes persistaient à l’égard de minorités religieuses ou ethniques, ainsi que des castes dites « inférieures », des femmes et des filles, des personnes LGBTI et des populations autochtones. Dans les pays frappés par la crise économique, les personnes qui appartenaient à ces différentes catégories et, plus généralement, à un groupe marginalisé ont été particulièrement touchées. Elles étaient également les premières à souffrir des conséquences souvent meurtrières de phénomènes météorologiques dus au changement climatique. Pourtant, les États de la région n’ont pas pris de mesures efficientes permettant de réduire les émissions de carbone ni mis en place de mécanismes efficaces de protection et d’adaptation.
Liberté d’expression
Le droit à la liberté d’expression restait menacé. De nombreux gouvernements ont intensifié la répression contre les médias, les défenseur·e·s des droits humains, les partis d’opposition et les personnes critiques à l’égard de leur politique, entre autres.
Plusieurs pays ont maintenu ou même renforcé des restrictions déjà draconiennes. En Afghanistan, des journalistes et d’autres personnes travaillant dans le secteur des médias ont fait l’objet d’actes de harcèlement et d’arrestations arbitraires. De nouveaux organes de presse ont été fermés ou contraints de cesser leurs activités. Au Myanmar, de lourdes peines d’emprisonnement ont été prononcées à l’issue de procès non conformes aux normes d’équité, notamment contre des journalistes. En Corée du Nord, le contrôle total exercé par l’État sur l’espace civique perdurait. Quiconque ayant critiqué le régime ou adopté des idées « réactionnaires » s’exposait à de sévères sanctions.
Ailleurs, les initiatives des autorités pour faire taire les voix dissidentes ont pris diverses formes. De nouvelles lois ou directives limitant le droit à la liberté d’expression sont entrées en vigueur au Bangladesh, en Chine, en Inde, au Pakistan, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Singapour. Le nouveau gouvernement des Fidji a abrogé une loi qui limitait la liberté de la presse, mais d’autres dispositions restrictives restaient en place.
Au Cambodge, la licence d’un des derniers médias indépendants a été révoquée. Le gouvernement indien s’est servi des services centraux financiers et judiciaires pour mener des perquisitions dans les locaux de médias et d’organisations de défense des droits humains et pour suspendre leur licence. Le Bhoutan, où les fonctionnaires n’avaient pas le droit de communiquer aux journalistes des informations d’intérêt public, a reculé dans les classements mondiaux en matière de liberté de la presse.
Les techniques de censure et de surveillance étaient de plus en plus utilisées pour faire taire les voix dissidentes. En Chine, une nouvelle réglementation a imposé des restrictions supplémentaires aux usagers·ères des réseaux sociaux. Les plateformes demandaient désormais à certains internautes de révéler leur identité, ce qui était préoccupant au regard du droit au respect de la vie privée. À Hong Kong, la très répressive Loi relative à la sécurité nationale et la Loi sur la sédition, qui datait de l’ère coloniale, ont été invoquées pour censurer des médias sociaux, des livres, des chansons et d’autres types de contenus diffusés sur Internet ou hors ligne. Au Viêt-Nam, Amnesty International a découvert que des agents de l’État ou des personnes agissant pour leur compte étaient probablement à l’origine de la campagne lancée à l’aide du logiciel espion Predator contre des dizaines de comptes sur les réseaux sociaux. Le gouvernement thaïlandais n’a quant à lui pas répondu aux inquiétudes suscitées par l’utilisation du logiciel espion Pegasus contre des défenseur·e·s des droits humains, des personnalités politiques et des militant·e·s de la société civile.
Les personnes qui partageaient des informations ou exprimaient des opinions critiques ou considérées comme sensibles par les gouvernements étaient en outre fréquemment la cible d’un harcèlement judiciaire. Au Viêt-Nam, des journalistes et des militant·e·s ont été poursuivis et incarcérés pour « diffusion de propagande contre l’État ». Aux Maldives, des journalistes ont été arrêtés pour avoir couvert certains événements, notamment des manifestations. En Malaisie, le gouvernement n’a pas tenu ses promesses d’abroger les lois limitant le droit à la liberté d’expression, et il a continué à utiliser ces lois pour lancer des enquêtes sur des cinéastes et des éditeurs, entre autres. En Thaïlande, les autorités persistaient à appliquer des lois restreignant les communications en ligne pour traduire en justice leurs détracteurs·trices. Aux Philippines, des personnes ayant critiqué le gouvernement ont cette année encore été poursuivies sur la base d’accusations infondées. En Indonésie, le fait d’appeler pacifiquement à l’indépendance de la Papouasie constituait toujours une infraction passible d’emprisonnement. Au Laos, l’intimidation et la détention arbitraire étaient des pratiques utilisées de longue date contre les défenseur·e·s des droits humains, qui étaient également victimes d’homicides illégaux et de disparitions forcées. De même, au Pakistan, des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des personnes ayant critiqué le gouvernement et l’institution militaire ont fait l’objet d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées.
Certains signes laissaient penser que la répression transnationale de la dissidence était en train de s’installer durablement. Les autorités chinoises et hongkongaises ont engagé des poursuites contre des militant·e·s, y compris des ressortissant·e·s chinois ayant fui à l’étranger, émettant des mandats d’arrêt, offrant des récompenses financières et faisant pression sur d’autres pays pour qu’ils les renvoient en Chine. Deux défenseurs des droits humains renvoyés par le Laos ont ainsi été placés en détention à leur retour en Chine. Les autorités vietnamiennes ont été impliquées dans l’enlèvement d’un youtubeur connu qui vivait en Thaïlande, où un défenseur des droits humains laotien a par ailleurs été tué par balle.
Les États doivent abroger toutes les lois et tous les règlements qui répriment ou restreignent de quelque autre façon l’exercice légitime de la liberté d’expression. Ils doivent aussi mettre fin à toutes les enquêtes ou poursuites injustifiées ouvertes pour des faits relevant de l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression. Enfin, ils doivent respecter la liberté de la presse.
Liberté de réunion pacifique et d’association
À l’exception des Fidji, qui ont montré des signes d’une plus grande tolérance, les États de la région se sont efforcés de limiter encore davantage le droit de réunion pacifique.
En Thaïlande, on comptait à la fin de l’année près de 2 000 personnes inculpées pour avoir participé aux manifestations en faveur de réformes politiques et sociales qui ont débuté en 2020. On ne connaîtra probablement jamais le nombre de personnes arrêtées en Chine pour avoir pris part à des rassemblements à la mémoire des victimes de l’incendie survenu dans un immeuble d’habitation à Ürümqi, en 2022, et aux manifestations connexes contre les restrictions liées au COVID-19. Certaines informations indiquaient que des participant·e·s à ces événements faisaient toujours l’objet de harcèlement. Une étudiante ouïghoure a été condamnée à trois ans d’emprisonnement pour avoir mis en ligne sur les réseaux sociaux une vidéo des manifestations. En Malaisie et en Mongolie, les autorités ont continué à se servir de lois répressives pour limiter le droit de manifester pacifiquement. En Corée du Sud, le durcissement de la politique à l’égard des manifestations « illégales » a incité une entreprise d’État à réclamer des dommages et intérêts exorbitants à un groupe de défense des droits des personnes handicapées. Au Myanmar, des dizaines de personnes ont été arrêtées pour avoir porté sur elles des fleurs à l’occasion de l’anniversaire d’Aung San Suu Kyi, l’ancienne conseillère d’État aujourd’hui emprisonnée.
L’usage illégal de la force, qui causait des blessures parfois mortelles, restait une pratique courante. En Afghanistan, les talibans auraient eu recours à des armes à feu, à des canons à eau et à des pistolets incapacitants pour disperser des mouvements de protestation, notamment des manifestations en faveur des droits des femmes. Au Pakistan comme au Sri Lanka, les autorités ont cherché à interdire les manifestations et ont fréquemment eu recours à une force excessive ou, plus généralement, illégale contre des protestataires. La répression a fait des morts et de nombreux blessés dans ces deux pays. Au Bangladesh, la police a fait usage de balles en caoutchouc, de balles réelles et de gaz lacrymogènes pour disperser des manifestations organisées par l’opposition, faisant au moins un mort. Des milliers de personnes ont été arrêtées. Les forces de sécurité ont également utilisé la force en toute illégalité contre des manifestant·e·s en Indonésie, aux Maldives et au Népal.
Les restrictions du droit à la liberté d’association se sont par ailleurs intensifiées dans plusieurs pays. Au Cambodge, le seul et unique parti d’opposition n’a pas été autorisé à participer aux élections et une personnalité politique de l’opposition a été condamnée à 27 années d’emprisonnement. Aux Philippines, des organisations humanitaires et de défense des droits humains, entre autres, ont été accusées d’avoir des liens avec des groupes communistes interdits ou ont été qualifiées de « rouges », ce qui exposait leurs membres au risque de faire l’objet de poursuites infondées, d’un homicide illégal ou d’autres atteintes aux droits fondamentaux. En Corée du Sud, les syndicats évoluaient dans un environnement de plus en plus hostile. Des dizaines de militant·e·s des droits des travailleuses et des travailleurs ont été visés par des enquêtes judiciaires.
Les gouvernements doivent respecter les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, et en favoriser l’exercice. Le travail des défenseur·e·s des droits humains doit être respecté et protégé, et il doit pouvoir être réalisé dans un environnement sûr et favorable.
Arrestations et détentions arbitraires
Des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s politiques et écologistes, entre autres, ont été arrêtés et placés en détention arbitrairement pour avoir contesté la politique et les agissements de leur gouvernement ou en raison de leur appartenance ethnique, de leur religion ou d’une autre caractéristique de leur identité.
En Chine, dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, des personnes appartenant à la communauté ouïghoure ou à d’autres minorités ethniques majoritairement musulmanes ont cette année encore été en butte à des arrestations arbitraires et à des procès non équitables. Au Myanmar, plus de 20 000 personnes étaient toujours en détention pour s’être opposées au coup d’État militaire de 2021, et des procès iniques ont continué d’avoir lieu.
Au Pakistan, les autorités ont invoqué l’Ordonnance sur le maintien de l’ordre public et la Loi antiterroriste, formulée en termes vagues, pour placer arbitrairement en détention plus de 4 000 personnes ayant participé aux manifestations qui avaient suivi l’arrestation, en mai, de l’ancien Premier ministre Imran Khan. Cent trois autres civil·e·s, dont des dirigeant·e·s et des militant·e·s politiques, ont été traduits en justice devant des tribunaux militaires. Si les tribunaux indiens ont ordonné la libération sous caution de plusieurs journalistes détenus de façon arbitraire dans le territoire de Jammu-et-Cachemire ou annulé leur placement en détention, des défenseur·e·s des droits humains étaient toujours détenus en Inde, souvent depuis des années, sans n’avoir jamais été jugés.
En Mongolie, de nombreuses arrestations ont été effectuées sans mandat en raison de garanties procédurales insuffisantes.
Les gouvernements doivent mettre fin à toutes les arrestations et tous les placements en détention arbitraires, notamment de celles et ceux qui les critiquent. Ils doivent libérer sans délai quiconque est détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement ses droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ou d’autres droits fondamentaux.
Impunité et droit à la justice
L’impunité restait très répandue et les victimes ne pouvaient ordinairement pas faire valoir leurs droits à la justice, à la vérité et à des réparations.
La décision qu’a prise la CPI de rouvrir son enquête aux Philippines représentait certes une lueur d’espoir pour les familles des innombrables victimes de la « guerre contre la drogue » menée par Manille, mais il était toujours extrêmement improbable que les auteur·e·s présumés d’atteintes graves aux droits humains aient à rendre des comptes. En Thaïlande, lorsque les forces de sécurité étatiques commettaient des homicides illégaux, l’impunité était la règle. Au Sri Lanka et au Népal, on ne constatait toujours aucun progrès significatif dans la recherche de la vérité, le travail de justice et l’octroi de réparations pour les dizaines de milliers de victimes de crimes de droit international et d’autres violations graves des droits humains perpétrés lors des conflits armés internes qu’ont connus ces deux pays.
Les gouvernements doivent lutter contre l’impunité en diligentant des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur les crimes de droit international et les autres graves atteintes aux droits humains, et en traduisant en justice les responsables présumés de ces actes dans le cadre de procès équitables. Ils doivent pleinement coopérer avec les enquêtes et mécanismes de justice internationaux. Des réparations doivent être accordées pour les atteintes aux droits humains commises par le passé.
Violations du droit international humanitaire
Le Myanmar était toujours le théâtre de violations du droit international humanitaire. L’armée et les milices alliées s’y sont livrées à des attaques aériennes et terrestres aveugles ou ciblées dans tout le pays, faisant plus d’un millier de morts parmi la population civile. Des attaques commises par des groupes d’opposition armés contre des civil·e·s liés aux autorités militaires ont également été signalées. En Afghanistan, dans la province du Panjshir, où une résistance armée aux talibans était active, de nouveaux éléments confirmaient le recours à des châtiments collectifs contre la population civile et l’exécution extrajudiciaire de combattants du Front national de résistance capturés. Parallèlement, les attaques menées par des groupes armés, en premier lieu par État islamique-Province du Khorassan, ont fait des milliers de victimes.
Toutes les parties aux conflits armés doivent respecter le droit international humanitaire. Elles doivent notamment mettre fin aux attaques indiscriminées ou menées directement contre les populations et infrastructures civiles.
Droits économiques, sociaux et culturels
Plusieurs pays restaient plongés dans une grave crise économique. Au Laos et au Pakistan, une inflation galopante induisant une hausse du coût de la vie frappait de plein fouet les personnes les plus susceptibles d’être marginalisées. Au Sri Lanka, où plus du quart de la population risquait de sombrer sous le seuil de pauvreté, l’accès à la nourriture, aux soins de santé et à d’autres biens ou services essentiels était devenu pour beaucoup un défi quotidien, en particulier pour les travailleuses et travailleurs journaliers et pour la minorité Malaiyaha Tamil. La crise humanitaire s’est encore aggravée en Afghanistan, ce qui faisait craindre une augmentation du nombre, déjà considérable, de personnes dépendant de l’aide humanitaire, alors que le financement de celle-ci était déjà tout à fait insuffisant.
En Papouasie-Nouvelle-Guinée, une grande partie de la population n’avait pas accès à des soins satisfaisants en raison du manque chronique de moyens qui touchait le système de santé. En Corée du Nord, l’insécurité alimentaire persistait et les traitements médicaux et les médicaments et vaccins de base étaient souvent indisponibles.
Les expulsions forcées et les démolitions de logements ont jeté à la rue des milliers de personnes, qui se sont retrouvées ou qui risquaient de se retrouver sans abri et dans le plus grand dénuement. Au Cambodge, l’expulsion forcée de quelque 10 000 familles qui vivaient sur le site d’Angkor, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, s’est poursuivie. En Inde, près de 300 000 personnes se sont retrouvées à la rue après la démolition de quartiers informels à Delhi, à l’approche du sommet du G20. Par ailleurs, les démolitions d’habitations, de locaux commerciaux et de lieux de culte, le plus souvent musulmans, ont continué à titre de sanctions contre des violences communautaires. En Indonésie, les autorités ont réagi avec une force excessive face aux manifestations de communautés qui protestaient contre des expulsions programmées et des projets de construction d’infrastructures. Au Laos, la construction d’un barrage menaçait de déplacer des milliers d’habitant·e·s des campagnes, sans que des solutions satisfaisantes d’indemnisation aient été trouvées.
Un peu partout en Chine, les droits culturels et linguistiques ainsi que le droit à l’éducation de certaines minorités ethniques étaient mis à mal par la politique du gouvernement, qui promouvait notamment l’assimilation des enfants tibétains et ouïghours.
Les États doivent veiller à ce que les droits économiques, sociaux et culturels soient protégés et à ce que leur politique ne vienne pas aggraver les atteintes aux droits à l’alimentation, à la santé et aux moyens de subsistance.
Responsabilité des entreprises
La responsabilité des entreprises concernant les atteintes aux droits humains relevait trop souvent du vœu pieux. Les travaux de recherche d’Amnesty International sur le Myanmar ont toutefois contribué à des avancées positives : plusieurs entreprises impliquées dans la fourniture de carburant d’aviation utilisé par l’armée de ce pays pour effectuer des frappes aériennes contre des civil·e·s ont interrompu leurs livraisons. L’UE, le Royaume-Uni, les États-Unis et plusieurs autres pays ont par ailleurs pris des sanctions ciblées contre certaines de ces entreprises.
Les États doivent se doter de lois obligeant les entreprises à appliquer la diligence requise en matière de droits humains afin que leurs activités et celles de leurs partenaires ne puissent ni causer ni favoriser des atteintes aux droits humains et afin que tout dommage résultant desdites activités donne lieu à des réparations.
Liberté de religion et de conviction
La liberté de religion et de conviction restait menacée, en particulier en Asie du Sud. En Inde, des centaines de cas de violences et d’intimidation contre des musulman·ne·s ont été enregistrés. La violence contre les minorités religieuses était également très répandue au Pakistan, où des tombes de la communauté ahmadiyya ont été profanées et où les accusations de blasphème servaient de prétexte pour s’en prendre à des minorités et pour justifier, par exemple, l’attaque de plus de 20 églises en l’espace d’une seule journée. En Afghanistan, les minorités religieuses chiites, chiites hazaras, sikhs, hindoues, chrétiennes, ahmadies et ismaéliennes faisaient l’objet d’une très forte discrimination de la part des talibans, qui veillaient à ce que l’enseignement religieux officiel soit exclusivement fondé sur les dogmes du sunnisme.
Les gouvernements doivent prendre des mesures effectives en engageant notamment, le cas échéant, des réformes juridiques et politiques destinées à intégralement protéger, promouvoir et garantir la liberté de religion et de conviction, sans discrimination.
Droits des femmes et des filles
Le Japon a renforcé les garanties juridiques contre les violences sexuelles, élargissant la définition du viol dans le Code pénal pour y inclure des rapports sexuels non consentis. Aux Fidji, les obstacles juridiques qui limitaient la participation des femmes mariées aux élections ont été supprimés.
Pour nombre de femmes et de filles dans la région, la réalité restait marquée par une discrimination et une violence systémiques.
De très nombreux cas de harcèlement et de violence, notamment de viol et d’autres abus sexuels, ont cette année encore été signalés, en particulier en Asie du Sud, et l’impunité restait la règle. En Inde, la fréquence des violences sexuelles infligées par des membres des castes dominantes à des femmes dalits, adivasis ou kukis était particulièrement préoccupante.
Les discriminations se manifestaient sous de nombreuses formes. En Afghanistan, les restrictions toujours plus draconiennes des droits des femmes et des filles et l’ampleur des violations de leurs droits fondamentaux étaient telles que l’on pouvait parler de persécution fondée sur le genre, un crime contre l’humanité. Au Népal, les femmes ne bénéficiaient toujours pas des mêmes droits que les hommes en matière de citoyenneté. Au Bhoutan, aux Fidji et au Japon, comme dans bien d’autres pays, les femmes restaient largement sous-représentées dans la fonction publique et dans le monde du travail.
Les gouvernements doivent redoubler d’efforts pour garantir et promouvoir les droits des femmes et des filles, mettre un terme aux discriminations intersectionnelles et fondées sur le genre auxquelles elles sont en butte, prévenir les violences fondées sur le genre et en traduire en justice les responsables.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Les droits des personnes LGBTI ont connu des avancées et des revers. À Taiwan, les autorités ont reconnu le droit de la plupart des couples transnationaux de même sexe de se marier. Le corps législatif thaïlandais a entamé le 21 décembre un processus de légalisation du mariage entre personnes de même sexe. Un certain nombre de décisions de justice, à Hong Kong, au Népal et en Corée du Sud, se sont traduites par une meilleure reconnaissance des droits des couples de même sexe ou des personnes transgenres. La Cour constitutionnelle de Corée du Sud a cependant confirmé que les relations sexuelles consenties entre individus de même sexe restaient une infraction pénale au sein de l’armée du pays. Par ailleurs, les gouvernements ont généralement réagi en faisant appel des jugements affirmant les droits des personnes LGBTI ou en tardant à les appliquer.
La situation précaire de ces personnes trouvait son illustration notamment dans la fermeture en Chine d’une importante organisation LGBTI dans le cadre de la campagne anti-LGBTI menée par les autorités. Au Pakistan, des groupes politiques et islamistes ont mené une campagne de désinformation remettant en cause les garanties juridiques dont bénéficiaient les personnes transgenres. Cette campagne s’est traduite par un regain de violence et de harcèlement à l’égard de ces dernières et des personnes de genre variant. En Inde, la Cour suprême n’a pas accédé à la demande de reconnaissance juridique du mariage entre personnes de même sexe. En Malaisie, les livres et les autres documents considérés comme faisant la promotion de modes de vie LGBTI ont été interdits. En Mongolie, une marche pro-LGBTI a été interdite.
Les gouvernements doivent abroger les lois et renoncer aux politiques qui établissent une discrimination à l’égard des personnes LGBTI, notamment en dépénalisant les relations sexuelles consenties entre individus de même sexe. Ils doivent reconnaître le mariage entre personnes de même sexe, promouvoir et protéger les droits des personnes LGBTI et leur permettre de vivre dignement et en sécurité.
Droits des peuples autochtones et discrimination ethnique ou fondée sur la caste
Les discriminations contre les populations autochtones et fondées sur l’appartenance ethnique ou la caste restaient très répandues. Dans des pays comme le Cambodge, l’Indonésie ou la Malaisie, les droits des peuples autochtones n’étaient pas pris en considération et l’exploitation commerciale de leurs terres menaçait leurs moyens de subsistance et leur existence même. Les consultations menées auprès des communautés concernées, lorsqu’elles avaient lieu, étaient souvent superficielles et les militant·e·s défendant les populations autochtones étaient fréquemment la cible d’atteintes aux droits humains. Aux Philippines, deux militants écologistes autochtones ont été soumis à une disparition forcée et des personnes dirigeant des mouvements de défense des droits des peuples autochtones ont été qualifiées de terroristes.
L’Australie a manqué une occasion historique de faire avancer les droits des personnes issues des Premières nations, la proposition visant à instaurer un organe chargé de les représenter directement auprès du Parlement ayant été rejetée à l’issue d’un référendum national. En Nouvelle-Zélande, les Maoris étaient toujours en butte à la discrimination et à la marginalisation, notamment dans le système pénal, où ils restaient largement surreprésentés. En Inde, la discrimination fondée sur la caste ne faiblissait pas.
Les gouvernements doivent veiller à ce que les victimes de discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ou la caste aient véritablement accès à la justice. Ils doivent mettre un terme à l’impunité dont jouissent les responsables d’atteintes aux droits humains commises contre des personnes dalits ou des membres de peuples autochtones ou d’autres groupes à risque. Enfin, ils doivent donner la priorité aux politiques et programmes visant à éliminer la discrimination structurelle, y compris au sein du système de justice pénale.
Torture et autres mauvais traitements
La criminalisation de la torture et de la disparition forcée en Thaïlande prouvait qu’une action concertée menée par les victimes et les défenseur·e·s des droits humains pouvait changer les choses. Mais il restait encore beaucoup à faire, dans ce pays comme ailleurs, pour en finir avec la torture et les autres formes de mauvais traitements.
De très nombreux cas de torture et d’autres mauvais traitements ont été signalés dans toute la région et les décès en détention étaient trop fréquents. Au moins 94 personnes sont mortes en détention au Bangladesh et au moins 13 en Malaisie. Les autorités népalaises n’ont rien fait pour donner suite aux allégations crédibles de torture et d’autres formes de mauvais traitements et obliger les auteur·e·s présumés de ces actes à rendre des comptes. En Afghanistan, la torture des détenu·e·s était apparemment une pratique courante, et les autorités recouraient aux châtiments corporels infligés en public, qui s’apparentaient à de la torture ou à une autre forme de mauvais traitement. L’armée indonésienne s’est rendue responsable de détentions arbitraires et d’actes de torture sur la personne de civil·e·s appartenant à la population autochtone papoue, dont des enfants. Plusieurs décès de personnes papoues en détention lui étaient également imputables.
Les États doivent interdire et réprimer pénalement la torture et les autres formes de mauvais traitements, et prendre des mesures effectives pour protéger les groupes marginalisés et à risque et pour prévenir les atteintes à leurs droits. Lorsque de tels actes sont signalés, les États doivent mener une enquête, veiller à ce que les responsables présumés rendent des comptes et fournir un recours aux victimes dans des délais raisonnables.
Droit à un environnement sain
Les inondations catastrophiques, les très fortes chaleurs et les typhons meurtriers qui ont frappé la région ont souligné sa vulnérabilité face aux phénomènes induits par le changement climatique. Les mesures prises pour réduire les émissions de carbone, préparer l’avenir et s’adapter au changement restaient pourtant très largement insuffisantes. Comme toujours, les populations les plus pauvres et les plus marginalisées en supportaient les conséquences les plus dramatiques.
Le passage du cyclone qui a frappé le Myanmar au mois de mai a causé un nombre de morts considérable au sein de la population rohingya, qui s’expliquait en grande partie par les conditions effroyables dans lesquelles ces personnes vivaient depuis leur déplacement forcé, en 2012. En Inde, les inondations qu’a connues la région himalayenne et les vagues de chaleur qui ont touché l’Uttar Pradesh et le Bihar ont fait près de 200 morts. Le Pakistan a cette année encore souffert de terribles vagues de chaleur dues au changement climatique. Celles-ci ont eu de graves conséquences sur la santé de la population, en particulier pour les personnes vivant dans la pauvreté ou travaillant dans le secteur informel.
Les efforts déployés pour atténuer les effets de l’évolution du climat, à commencer par les objectifs en termes d’émissions définis par de nombreux pays, notamment les plus gros émetteurs, restaient insuffisants pour maintenir la hausse des températures moyennes de la planète au-dessous du seuil de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Les politiques et les mesures mises en place étaient souvent en contradiction avec les objectifs que les États s’étaient eux-mêmes fixés. Taiwan, par exemple, a adopté une loi obligeant le gouvernement à réduire les émissions, mais aucun calendrier de sortie des énergies fossiles n’a été défini et la prospection pétrolière se poursuivait.
À en juger par les systèmes énergétiques des pays de la région, la dépendance au charbon ne semblait guère décliner. De nouvelles centrales à charbon et de nouveaux projets d’extraction ont au contraire été autorisés par des gouvernements, que ce soit en Australie, en Chine, en Indonésie ou en Corée du Sud, souvent malgré une forte opposition interne. Le Japon était le seul pays industrialisé de la planète à ne pas s’être engagé à mettre progressivement fin à l’utilisation du charbon pour la production d’électricité.
Les États n’ont à de nombreuses reprises tenu aucun compte de l’impact qu’avaient les industries extractives sur l’environnement, ainsi que sur les peuples autochtones et les autres populations concernées. La Mongolie, par exemple, n’avait toujours pas pris de mesures suffisantes pour remédier aux répercussions des opérations minières dans la région du Gobi sur la santé et les moyens de subsistance des populations pastorales. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, le gouvernement a délivré un permis autorisant la reprise de l’exploitation d’une mine d’or qui avait donné lieu par le passé à de graves atteintes aux droits humains et à des dommages environnementaux. L’entreprise concernée n’avait pourtant pas remédié de manière satisfaisante à ces problèmes.
Les pays industrialisés et les autres pays fortement émetteurs dans la région doivent montrer la voie en matière d’atténuation du changement climatique, notamment en arrêtant de développer et de subventionner la production de combustibles fossiles. Ils doivent veiller à ce que leur politique climatique soit cohérente avec la nécessité de contenir le réchauffement de la planète sous la barre de 1,5 °C. Les États doivent accroître leurs investissements dans la préparation et l’adaptation aux catastrophes et donner la priorité à la protection des groupes touchés de façon disproportionnée par la crise climatique.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
La détention illimitée des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile a été déclarée inconstitutionnelle par la justice en Australie et en Corée du Sud, mais la protection de ces personnes et celle des migrant·e·s restait insuffisante dans l’ensemble de la région et leurs droits fondamentaux n’étaient généralement pas respectés.
De nombreuses personnes réfugiées ou migrantes ont été placées arbitrairement en détention pour une durée indéterminée, souvent dans des conditions déplorables. D’autres se sont vu refuser un logement décent et l’accès aux services les plus élémentaires ou n’avaient pas le droit de circuler librement.
Les autorités malaisiennes n’ont pas enquêté sur la mort en 2022 de 150 hommes, femmes et enfants dans des centres de détention gérés par les services de l’immigration, alors que les conditions de vie dans ces centres constituaient toujours un motif de préoccupation. Au Bangladesh, des milliers de réfugié·e·s rohingyas se sont de nouveau retrouvés sans abri après l’incendie d’un camp et le passage d’un cyclone. En Thaïlande, un nouveau mécanisme de sélection des réfugié·e·s et des demandeurs·euses d’asile a été mis en place, mais ces personnes continuaient d’être placées en détention illimitée, dans des conditions déplorables qui ont notamment coûté la vie à deux hommes ouïghours. Au Japon, la nouvelle Loi sur l’immigration sanctionnait la pratique de la détention illimitée des réfugié·e·s et des demandeurs·euses d’asile. À Taiwan, les modifications apportées à la Loi sur l’immigration n’ont pas instauré de mesures de protection contre le refoulement.
Le sort de plusieurs centaines de ressortissant·e·s de Corée du Nord renvoyés de force dans ce pays par le gouvernement chinois, malgré les mises en garde soulignant que ces personnes risquaient d’être sévèrement punies, suscitait une vive inquiétude. Après que le gouvernement pakistanais eut annoncé en octobre que les réfugié·e·s afghans non enregistrés devaient quitter le pays dans un délai d’un mois, plus de 490 000 personnes ont été renvoyées de force en Afghanistan, alors que beaucoup en étaient parties par crainte d’être victimes de persécution aux mains des talibans. La Malaisie a elle aussi violé le principe de « non-refoulement » en procédant au renvoi forcé de réfugié·e·s au Myanmar alors que ces personnes risquaient d’y subir de graves violations de leurs droits fondamentaux.
Au Cambodge, au Laos, au Myanmar et en Thaïlande, les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à la traite des êtres humains. Dans ces pays, des étrangers·ères étaient recrutés avec des promesses mensongères et contraints, souvent par la menace, de collaborer à des jeux d’argent illégaux et des escroqueries en ligne.
Les gouvernements doivent cesser de placer des personnes demandeuses d’asile en détention en raison de leur situation au regard de la législation sur l’immigration, et ils doivent leur permettre de solliciter une protection internationale. Aucune personne ne doit jamais être renvoyée de force dans un lieu où elle risque d’être victime de persécution ou d’autres violations de ses droits fondamentaux. Les protections contre la traite des personnes doivent être renforcées et les victimes doivent disposer d’un soutien, notamment juridique, pour leur permettre, entre autres, de regagner leur pays lorsqu’un retour en toute sécurité peut être envisagé.
Peine de mort
La Malaisie a supprimé le caractère obligatoire de la peine capitale pour tous les crimes et a aboli totalement ce châtiment pour sept infractions, ce qui constituait un pas dans la bonne direction. La peine de mort continuait toutefois d’être largement utilisée dans la région, souvent en violation du droit international et des normes afférentes. Des exécutions ont été signalées en Chine et au Viêt-Nam, mais les statistiques relatives au recours à la peine de mort y demeuraient classées secret d’État. L’Afghanistan appliquerait également la peine de mort, notamment avec des méthodes telles que la lapidation, considérées par les organes de l’ONU comme des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. À Singapour, plusieurs personnes, dont une femme, ont été exécutées pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, et les militant·e·s et les avocat·e·s qui dénonçaient le recours à la peine capitale faisaient l’objet d’un harcèlement.
Les gouvernements qui maintiennent encore la peine de mort doivent prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour l’abolir.
Droits des enfants
L’application du droit pénal aux mineur·e·s demeurait préoccupante dans plusieurs pays. En Australie comme en Nouvelle-Zélande, un enfant pouvait être placé en détention dès l’âge de 10 ans et, dans ces deux pays, les conditions de vie dans les établissements pour jeunes délinquant·e·s les mettaient en péril. En Thaïlande, près de 300 mineur·e·s ont été inculpés d’infractions pénales en raison de leur participation aux manifestations essentiellement pacifiques qui ont eu lieu ces dernières années. C’était notamment le cas d’un jeune homme condamné à une peine d’un an d’emprisonnement, assortie d’un sursis de deux ans, pour avoir participé en 2020, alors qu’il était âgé de 16 ans, à une parodie de défilé de mode qui se voulait une satire de la monarchie. En Corée du Nord, certaines informations ont cette année encore fait état du recours très fréquent au travail forcé, y compris de mineur·e·s.
Les gouvernements ne doivent jamais arrêter ou placer en détention des mineur·e·s qui n’ont fait qu’exercer leurs droits, notamment leurs droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression. Ils doivent relever l’âge de la majorité pénale à 14 ans au plus tôt et veiller à ce que les enfants ayant enfreint la loi soient traités conformément aux principes de la justice des mineur·e·s, notamment en limitant strictement le recours à la détention.