Les autorités qatariennes ne protègent pas les employées de maison migrantes en butte à une rude exploitation, notamment au travail forcé et aux violences physiques et sexuelles, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public mercredi 23 avril.
Intitulé “My sleep is my break”: Exploitation of domestic workers in Qatar, ce rapport dépeint la situation de femmes migrantes employées au Qatar sur la base de fausses promesses quant à leurs salaires et à leurs conditions de travail, et qui se retrouvent à travailler de très nombreuses heures, sept jours sur sept. Certaines de ces femmes endurent des violences physiques et sexuelles.
« Les migrantes employées de maison sont victimes d’un système discriminatoire qui les prive des protections élémentaires et les expose à l’exploitation et aux atteintes aux droits fondamentaux, notamment au travail forcé et à la traite d’êtres humains, a déclaré Audrey Gaughran, directrice chargée des questions internationales à Amnesty International.
« Nous avons parlé à des femmes qui ont été trompées et se sont retrouvées prises au piège, à la merci d’employeurs violents, avec interdiction de quitter la maison. Certaines ont raconté avoir été menacées de violences physiques lorsqu’elles ont informé leur employeur de leur désir de partir. »
Pas moins de 84 000 migrantes, principalement originaires d’Asie du Sud et du Sud-Est, travaillent comme employées de maison dans cet État du Golfe. Beaucoup se voient imposer des journées de travail interminables.
Les chercheurs ont interrogé des femmes qui travaillent, dans certains cas, jusqu’à 100 heures par semaine, sans aucun jour de congé. Certaines ont déclaré qu’on leur avait promis de bons salaires et de bonnes conditions de travail, avant de partir pour le Qatar, mais qu’elles ont vu tous leurs espoirs brisés à l’arrivée.
Le droit qatarien ne prévoit aucune limite aux heures de travail incombant aux employés de maison et aucune disposition n’impose de leur octroyer un jour de congé. En outre, ils n’ont pas la possibilité de déposer plainte auprès du ministère du Travail.
« Les femmes qui se retrouvent chez des employeurs abusifs sont en butte à des conditions épouvantables. Elles n’ont guère de choix : si elles tentent ne serait-ce que de sortir de la maison, elles seront considérées comme des ” fugueuses ” et risquent fort de finir en détention ou d’être expulsées », a déclaré Audrey Gaughran.
Les employées domestiques sont soumises au système restrictif de parrainage, qui empêche les travailleurs migrants de quitter leur emploi ou le pays sans autorisation de leur employeur.
Si certaines femmes trouvent de bons emplois et sont bien traitées, celles qui sont victimes de violations des droits humains n’ont guère d’autre choix que de s’enfuir, ce qui leur fait courir le risque d’être arrêtées, détenues et expulsées pour « fugue ».
Près de 95 % des femmes détenues au centre de refoulement de Doha en mars 2013 étaient des employées de maison. Les chercheurs d’Amnesty International se sont entretenus avec une femme indonésienne, retenue dans ce centre après avoir fui des violences physiques intenses ; elle leur a montré une profonde cicatrice sur sa poitrine, là où son employeuse l’a marquée avec un fer à repasser. Elle a raconté qu’elle avait été contrainte de travailler sept jours par semaine, sans percevoir aucun salaire pendant des mois, et avait interdiction de sortir de la maison. Elle a fini par réussir à s’enfuir, pour être arrêtée par la police et placée en détention.
Les violences physiques et sexuelles
Les chercheurs ont entendu des témoignages choquants de victimes de violences, notamment de femmes qui ont été giflées, tirées par les cheveux, à qui on a enfoncé les doigts dans les yeux, et fait descendre des escaliers à coups de pied.
Trois femmes ont raconté avoir été violées par leurs employeurs. Les femmes victimes de violences physiques et sexuelles sont confrontées à des obstacles majeurs pour accéder à la justice.
Parmi les femmes qui se sont entretenues avec les chercheurs, pas une seule n’a pu voir son agresseur poursuivi ou condamné. Dans l’un des cas, une employée de maison a eu les deux jambes cassées et la colonne fracturée lorsqu’elle est tombée par une fenêtre alors qu’elle tentait d’échapper à son employeur qui voulait la violer. Celui-ci a ensuite continué à l’agresser sexuellement, alors qu’elle gisait au sol, blessée et incapable de bouger. Ce n’est qu’après qu’il a appelé une ambulance.
Lorsque les chercheurs se sont entretenus avec elle six mois après cette agression, elle était en fauteuil roulant. Malgré ses très graves blessures, le procureur général a classé l’affaire sans suite en raison de l’« absence de preuves » et cette femme est rentrée aux Philippines en 2013. Son employeur n’a jamais eu à rendre des comptes pour ce qu’il a fait.
En outre, les femmes qui dénoncent des violences sexuelles risquent d’être accusées de « relations illicites », c’est-à-dire de relations sexuelles hors mariage, un « crime » normalement puni d’un an de prison et d’une mesure d’expulsion.
Environ 70 % des détenues de la prison pour femmes de Doha en mars 2013 étaient des employées de maison. S’y trouvent des femmes enceintes et 13 bébés de moins de deux ans, détenus avec leurs mères. Les autorités doivent supprimer sans délai des textes législatifs du Qatar la notion de « relations illicites », a déclaré Amnesty International.
Des appels en faveur du changement
Amnesty International a appelé les autorités qatariennes à supprimer de toute urgence les dispositions du Code du travail qui privent les employés de maison et d’autres travailleurs de leurs droits.
Ces dernières années, le gouvernement a assuré à maintes reprises qu’il allait adopter une loi relative aux employés de maison. « L’attention internationale suscitée par la Coupe du monde de football de 2022 braque les projecteurs sur les souffrances endurées par les ouvriers du bâtiment au Qatar.
Cependant, l’absence totale de protection concernant les droits des employés domestiques et leur isolement à l’intérieur des maisons de leurs employeurs les rend encore plus vulnérables aux violences, a déclaré Audrey Gaughran.
« Les promesses du gouvernement de protéger les droits des employés de maison sont jusqu’à présent restées lettre morte. Le Qatar doit garantir sans plus attendre aux employés de maison une protection juridique de leurs droits fondamentaux. »
Complément d’information
Le rapport d’Amnesty International se fonde sur des entretiens réalisés auprès de 52 employées de maison, avec des représentants du gouvernement, des ambassades des pays d’origine des employées de maison et des agences de recrutement. Il s’appuie aussi sur des données fournies par les institutions qui accompagnent les employées confrontées à des situations difficiles. Enfin, les chercheurs d’Amnesty International se sont rendus au centre de refoulement et à la prison de Doha.
Au lendemain de la publication en novembre 2013 d’un rapport d’Amnesty International sur les travailleurs migrants au Qatar, le gouvernement qatarien a annoncé que le cabinet d’avocats DLA Piper étudierait les conclusions d’Amnesty International dans le cadre d’un vaste examen de la situation des travailleurs migrants au Qatar. Son rapport doit être rendu public dans les semaines à venir.